Tu ne prends pas l’ascenseur remarques-tu
il y a tant de poussière dans l’escalier
non, pas l’ascenseur
je n’aime pas me sentir enfermée
j’ai une peur panique d’étouffer
je me souviens grand-mère
était asthmatique
elle revenait de loin d’un pays qui n’a pas de nom
du fin fond de l’abîme peut-être
de l’inconcevable à coup sûr et elle prononçait d’étranges paroles
des paroles suffoquées
Je suis issue d’un peuple qui fut asphyxié dans certaines chambres de l’Europe
des cellules hermétiquement closes étaient emplies de gaz
les murs portent encore les traces des ongles des suppliciés
qui labourèrent le béton de leurs doigts
À Varsovie dans le quartier chic et très paisible de Rozbrat
je me souviens
grand-mère ses crises d’asthme les pas du médecin
l’affolement de grand-père qui n’était pas mon grand-père
car grand-père avait disparu dans l’une de ces cellules hermétiquement closes
puis il n’en était resté que des cendres mêlées à la terre de Pologne
je me souviens
les paroles suffoquées
il fait gris un peu froid moins que d’habitude à Varsovie en février
dans la cage d’escalier je passe le doigt sur la poussière de la rampe
et j’ouvre la fenêtre