Françoise Morvan
Chant de berger
Voix des enfants tendues d’un bord du ciel à l’autre
par temps léger temps bleu sur les collines
Le vent gonflant leurs blouses
portant leurs voix sur la vallée
Voix tranquilles
joutant dans le vent
se mêlant
Dis-moi où tu seras sur la colline
dis-moi où tu seras
Une vieille chanson chantée par les petits bergers
une fille et un garçon se répondent
Au champ des rochers gris sur la colline
au champ des rochers gris
La mélodie mélancolique
lève entre les pommiers gonflés de bruine
Oh reviens vite avant la pluie
et viens jouer avec moi sur la colline
Courir sur les grandes pentes des herbages
courir jusqu’à s’envoler comme en rêve
Courir jusqu’à tomber sur la colline
courir jusqu’à tomber
La lumière est plus claire avant l’averse
on dirait qu’un miroir la reflète au ciel
douce et lustrée
puis un tissu fin se déchire
et tout se referme
Rossignol
Le rossignol de verre
Trouvé un jour d’été dans le grenier
Redit sa mélodie fragile
Trilles du cœur qui tremble
Iris sur la fontaine
Espoirs amours promesses
L’eau dans la transparence
Traversée de soleil
Reflète l’univers
Une bulle irisée
Docile sous le ciel
Glissant tranquille
Ronde et lustrée sur les fougères
Dans le temps du rêve
Libre de mémoire
Puis un pas léger
Pas même un cri de merle
Une ombre un souvenir
La mélodie tremblée
Éclate en cœur qui tinte
Et qui se brise sur la pierre.
Chimères
Promesses qui s’enfuient dans l’air léger
Une robe de velours bleu
Une robe plus douce qu’un ramier
Et la voix se fond en murmure
À peine un rêve une rumeur
Une robe ombrée de lumière
À revêtir un anneau d’or au doigt
Pour s’en aller jusqu’au pays du prince
Un grand habit de satin blanc
Comme une ombre d’oiseau qui se déploie
Emportant l’anneau d’or vers le soleil
Et le reflet noyé se dilue dans la mer.
Escholtzias
Le feu prend dans les vieux ajoncs
Par fourchées les ronciers se brassent
À travers le ciel bleu phrygien
Si la gousse éclate ou le soleil d'encre
Ça n'est pas que le crâne à rousseur crêpelée
De la poupée de celluloïd craque
Ni que la broderie nue sur le gros grain noir
S'accorde au point de croix tracé par l'ouvrière
Montrant d'un doigt tout piqueté ses marques
Le ciel reste pareil la terre aussi
Ça n'est rien qu'une aiguille orange
Un point ravaudé sur la cendre
Bien qu'une odeur de mer se mêle aux herbes
Où la poupée cliquetante est couchée
Et que le bruit soit d'un grand drap plein d'ombre
Qui claque au soleil et que les corbeaux raillent
Comme arrachés au jour d’été trop bleu
Sur le taillis de la broussaille hissant sa flamme
Tout reste intact jusqu’au cœur noir des escholtzias
Quand le feu prend ces ajoncs et les fond
Dans la fumée houlée du vent qui lève.
Fable
La lumière est légère autour des herbes
Les grains d'orge et de brome
Quand le vent chaud les brutalise
Font un poussier d'air brun comme un tabac
Plein d'eucalyptus et de fleurs en poudre
Et c'est ce brun léger qui flambe autour des herbes
Soleil éteint couleur de fable ancienne.
Repos
Lourdes miches de pain
Portant les soirées chaudes dans leur flancs
La mie crémeuse s’ouvre comme un ventre
Et la chair semble offerte au sacrifice
Au bout du long couteau le pain tranché
Tombe dans une assiette à fleurs clinquantes
Rouge écarlate où le lard tremble
Plus précieux d’être humide sous un suint léger
Humide aussi le beurre ourlé de fleurs
Gardant le modelé de la cuiller de buis
Un legs de beauté pure où glisse la lumière
Sitôt la mousseline soulevée
Clameurs la porte ouverte
Le cuivre absorbe les lueurs du cidre
Et les voix sont cuivrées lustrées retentissantes
Laissant couler leur joie par libations
Puis tous s’en vont et la vie se retire
Reste le battement paisible de l’horloge
Et les sabots sur la terre battue
Plus loin dans l’ombre à l’odeur d’étable
Le soleil brun sur le marc de café
Se pose un temps et le temps se repose
Rendu à soi sans bruit si loin de tout
Et suspendu au beau milieu du monde.
Velours
On gagne aux loteries des coussins larges comme des roues qui finissent posés au fond des fermes sur un grand lit à blancheur de tombeau dans l'ombre.
Les jupes des poupées gagnées un soir de fête sont aussi autour d'elles comme des roues, et leur tournoiement garde au sortir du soleil dans la cour l'ombre du cuivre auréolé de feu, le rose de la braise et les plis blond clair que l’on peut voir sur le beurre mouluré.
Quand on s'approche en s'habituant à l'ombre, on aperçoit le cercle absolument pur du coussin posant loin du soleil ce rose orangé qui fait penser aux splendeurs de la Chine.
Alors reviennent, serrant le cœur, les ruissellements de phlox, de soleils et d'œillets d'Inde assemblés à la veille de l'Assomption devant la terre humide des tombes, et le velours noir qui se plisse autour des fleurs brodées sur le satin est plus parfait encore que la nuit d'août, plus doux que le marbre, plus soyeux que le ventre d'une abeille, et tout cela se tient sans bruit dans l’ombre à senteur de terre et de lait comme une émanation des grands manèges tournant dans l'été.
Gitan
Un foulard crasseux brille
Peint de soleils et de chardons
Sur fond de suie violette
Idole au front courbé
Tout luisant de sueur et d'huile
Il lève un sourire aux dents claires
Et la lumière à plis d’étole
Ondule autour des boucles noires
Pour se poser sur les épaules ruisselantes.
Moire
Et voici la voyante aux bandeaux noirs
Arrachant un sourire au miroir de sorcière
Et secouant sur fond de nuit ses anneaux d’or
Pour mieux faire lever la lie des avenirs
Sur l’enseigne à la belle étoile un ciel violet
Comme le châle de soie lourde à fleurs de paon
Qui miroite en lumière autour de ses épaules
Lui fait une auréole de vin clair et la rend belle
Déesse aimable et lasse aux formes amollies
Brouillant indolemment les ombres des planètes
Elle élève la main vers le miroir et la soie glisse
Comme la moire au profil dur soumet les destinées.
Tirs
Une odeur de troène et de sucre brûlé
Emporte le village comme en rêve
Dans le crépitement des tirs
Roulant sous le violet du ciel criblé d’étoiles
Vers les grands vallons de la mer
Où se défont les sorts au grand hasard du temps.
Glaïeuls
Fleurs tigrées que l’on porte aux morts
Anthères saillant jaune au fond de l’ombre
Lys œil de tigre abysse de mémoire
Glaïeuls moulés d'un bloc comme de cire
Dans l'orange éclaté d'un bulbe
Laissés sur le marbre à reflets miroitants
Au bas du bourg où la fête foraine éclate
Dans une odeur de sucre et d’amande brûlée
Avec crépitements de tirs les fleurs de l’Assomption
Vivent leur temps de vie sous le soleil.
Soleils
Le noir, le noir moins épais que la nuit, il pourrait bien dormir des siècles sans que la bouche approche pour ternir d'une haleine ce miroir clair, ni la main connaître le ruissellement du satin, le guêpier des broderies, les cils raidis d'empois sur les joues rondes, le velours tendre qui renferme et contient tout dans son noir.
Avec l'idée du soleil au bord de s'éteindre et de son flamboiement descendant sur l'automne, avec l'idée de la bonne aventure humectant les yeux de larmes aussi imprévisibles, aussi violentes et douces que le ralentissement irrémédiable de la grande roue revient l’appel imprévisible d’avoir à disparaître d’un monde à peine happé au bord de sa beauté.
Longtemps après, les rubans enlacés des sucres d'orge gardent le goût brillant des coussins ou des robes et tout ce qui paraît aux yeux de beauté désirable possède en puissance ce rose et ce rude orangé, plus brillant que le verre, attirant les doigts vers le satin et la bouche vers les sucreries lustrées des bohémiennes diseuses d’avenir ouvert sur le fond noir du temps, miroir sans tain prêt à mettre en lumière l’effloraison des splendeurs improbables.
Forains
C'est toujours vers l'ouest qu'ils s'en vont
Seuls dans le monde et suivant le soleil
Laissant au loin leurs pays de Bohème
Pour aller vers la mer à rumeur de mémoire
Et revenir pareils année après année
Dans les pays des bois sous la pluie lente
Auréolant les roues des grands manèges
Où les lions dorment parmi les étoiles
S’ils vont et viennent par le monde
En passagers diseurs des aventures
Pour revenir au même bourg perdu
C’est qu’ils ont su tourner la roue huilée du temps
Sans se laisser distraire ou retenir
Garants des avenirs encore ensevelis
Dans le grand glissement des ombres
Errant de lune en lune au gré des mondes
Tout est passager les joncs fins
Qui font ces paniers où le vent chuchote
Et se voient des motifs d'étoile
S’effacent sous les doigts des bohémiennes
Et la vaisselle à fêlure aspectée
Que l’on assemble à force de patience
Porte un destin qui trace aussi sa ligne
Après les bancs de sable et les métiers appris.
Françoise Morvan
« Je me vois désignée tantôt comme “éditrice”, tantôt comme “traductrice”, comme “essayiste”, comme “historienne”, comme “folkloriste”, comme “conteuse”, comme “auteure”, comme “écrivaine”, comme “universitaire”, comme “poète”, “poétesse” ou spécialiste de ceci ou de cela. Je suis juste un écrivain qui a choisi d’écrire sans tenir compte des voies tracées d’avance. »
Ainsi s’exprime Françoise Morvan. Son œuvre remarquable d’inventivité, d’intelligence, de finesse, de poésie est à découvrir ici.