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BABEL HEUREUSE

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Les créateurs vous en parlent

Gwen Catalá, l'éditeur  voyageur

créateur.    

Babel heureuse n°1, printemps 2017

Babel heureuse n°1, printemps 2017

François Rannou, le poète  créateur

rassembleur

Babel Heureuse est une revue nouvelle qui paraîtra, tous les semestres, sous trois supports : format web, ebook (livre électronique) et livre « papier ».

Le support numérique, mot un peu fourre-tout, je l’ai vu, dans ses pratiques et ses formats, bouger, avancer à grands pas et obliger à penser les changements qu’il suscite. Elle est loin, maintenant — et j’ai conscience en disant cela d’une sorte d’incongruité du temps tel qu’il se représente aujourd’hui sous la pression de notre époque 2.0 — l’époque de la réduplication de l’espace du livre papier par le PDF. Autre chose s’est inventé. Et a fait son chemin. Avec des rencontres. Celle de Gwen Catalá a été décisive. Et, avec lui, je suis heureux de présenter cette revue, et la réflexion qui la sous-tend.

 

Notre monde, depuis déjà quelques minces décennies, se transforme à vive allure, c’est un truisme de l’énoncer. Or nous voici toujours avec le sentiment que la non-signification du monde que mettait en évidence Camus n’a fait que se renforcer — au moment justement où le sentiment religieux, sous des formes extrémistes et/ou identitaires, renaît avec vigueur en le travestissant. Surtout depuis que le capitalisme règne en maître sans partage. Ne sommes-nous pas dans un relativisme généralisé : politique, économique, idéologique, philosophique, poétique ? Ce que reflète le langage qui peu à peu s’est tellement relativisé qu’il s’est vidé de sa force en se retournant sur lui-même comme un gant ; alors il s’est transformé en filet dont, quoi qu’on dise, on ne peut se défaire, pris dans un piège tel que pouvoir sentir l’air qui bat librement sans que le langage, tout de suite, le recouvre, l’étouffe (et avec quels déploiements rhétoriques !), voilà qui est devenu le plus difficile.

L’omniprésence des médias-écrans permet d’exercer un réel pouvoir anesthésiant tant il est problématique de se défaire de la fascination qu’ils exercent. On retrouve alors le sens du mot écran à son origine puisque dans le dernier quart du XIIIe siècle escren désignait un panneau pour se garantir de l’ardeur du foyer… sans doute le feu qui éclaire la face antérieure du langage a-t-il sur nos lèvres trop d’éclat et de chaleur qu’il faille s’en protéger… Parfois le voile se déchire (l’excès, la dépense d’un mot-acte), mais le filet se recoud, rien ne s’est passé en apparence. La technologie (contrairement à l’ancienne technè) propulse le langage à un rythme qui l’assourdit, médiatise tellement notre conscience de l’absurde (comme un manège irait de plus en plus haut, de plus en plus vite) qu’une euphorie étrange étreint comme une éponge le désir d’authentique expression. Ainsi, ça parle tout le temps, sans silence, sans différé, sans retard, presque compulsivement. Un monde intermédiaire enivré de complétude se propose à nous…

 

Le poète, lui, que fait-il ? Il travaille sur le tranchant. À la fois dans le monde, dans notre monde que Peter Sloterdijk décrit comme un mécanisme d’oppression généralisé, et à distance, en retrait, dans une position de refus. De révolte. Sans illusion sur une quelconque unité à retrouver : le deuil est fait. Mais sans se livrer corps et biens à un éclatement mortifère. Il y a un travail créateur nécessaire qui passe par une critique des nouveaux modes d’asservissement du langage par ce qui fait écran. Lucidité, mémoire, veille, distance, implication, joie, élan sont à l’œuvre. La revue voudrait ainsi faire advenir ce qui suffoque, rompt, libère, excède le langage en filet. Dans Babel heureuse, il s’agira de façonner un espace de ressaisissement de ce langage qui, de notre monde, permette de percevoir la vitesse, de comprendre la puissance de séduction qu’il impose (comme dans l’imposition des mains quand elle est simulacre de sacré) — dans la simultanéité des perceptions, cette saisie crée l’endroit où le corps et l’esprit se tiennent ensemble en des points de tension (qu’elle n’a pas charge d’élucider, mais de soutenir) qui permettent au vif d’être présent. Il s’agit d’être en avant sur la parole en avant, de faire entendre/voir/lire l’élémentaire (pour reprendre le titre du célèbre article texte de Paule Thévenin sur Artaud, que publia Tel Quel), ce qui a l’opacité du réel, dans les langues et les arts. Horizontalement, verticalement, et par apparitions, disparitions, en surface et en profondeur (couches superposées, sédiment, archéologie des savoirs et du sujet dès que les fenêtres s’ouvrent), un espace de découverte se déplie sur plusieurs supports. La revue donc : polyphonique, selon un contrepoint où contradiction, juxtaposition, confluence, croisement permettent une parole vraiment vivante toujours à naître. Sans hiérarchisation de valeur, dans la revue trouveront leur place (car elle se veut lieu plurimodal de pensée et de création) : photographes, vidéastes, peintres, chorégraphes, compositeurs, penseurs… et ceux qui ne sont stricto sensu rien de tout cela et tout cela à la fois, les poètes — loin de la fragmentation des savoirs et des arts. Les traductions y seront nombreuses également…

 

Babel donc… et qu’elle soit heureuse et procure à sa lecture du plaisir !

 

 

François Rannou

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